
la future mosquée du Mirail © ACCIF
En France, on se marie de plus en plus tard. Si d’aucuns choisissent volontairement le célibat, d’autres le subissent. La communauté musulmane n’est pas épargnée par cette tendance. Des jeunes filles ne savent pas comment trouver la perle rare. Des jeunes hommes cherchent désespérément leur moitié. Celles et ceux qui refusent de trouver leur futur conjoint dans une boîte de nuit ou dans une soirée raï se retrouvent le plus souvent à attendre.
A Toulouse, l’association cultuelle et culturelle en France (ACCIF) qui gère la mosquée du Mirail a décidé de prendre le taureau par les cornes. Un service matrimonial a éanté mis en place pour permettre aux célibataires de se marier. Interview.
Al-Kanz : Quel a été le déclic qui vous a permis de passer du constat que tout le monde fait à l’action ?
ACCIF : Vous savez, pour être au service de la communauté, c’est souvent elle qui t’y oblige d’une certaine façon. En tant que responsable d’une association ou d’une mosquée, les gens te sollicitent naturellement sur des questions touchant de près ou de loin à leur religion, leur vie spirituelle et leurs préoccupations temporelles. Et l’on finit par se voir attribuer un rôle même si on ne l’a pas cherché au départ. Alhamdulillah, toutes les louanges reviennent à Allah, et en fin de compte – je devrais même dire, au commencement de toute chose –, on devrait Le remercier de nous avoir choisis pour être au service de Ses créatures, à cette occasion-ci par exemple en essayant de leur trouver « l’âme sœur » dans le respect des règles de cette belle religion.
Al-Kanz : Pourriez-vous en quelques mots nous dire comment fonctionne ce service matrimonial ?
ACCIF : Au départ, les hommes et les femmes qui me parlaient de leur souhait de trouver leur « moitié » me laissaient de petits bouts de papiers avec leur nom, prénom, critères et téléphone pour que je puisse les recontacter si jamais quelqu’un qui pouvait leur correspondre me venait à l’esprit. Avec le temps, les demandes se sont multipliées. On s’est retrouvé dans l’impossibilité matérielle de se rappeler de tout, de tout le monde. On finit inéluctablement par en oublier, sans compter ceux et celles qui ne cherchent plus, parce qu’ils ont trouvé, déménagé ou pour d’autres raisons. C’est suite à cela que nous avons créé un formulaire standard composé d’une charte de fonctionnement, d’une partie profil et une dernière partie où chacun indique les critères du futur conjoint. Tout cela est enregistré dans une sorte de base de données, ce qui nous a beaucoup facilité la tâche.
Chaque inscrit, homme ou femme, est reçu en entretien de vérification et de validation de son profil et de sa recherche. Par la suite, si nous trouvons quelqu’un qui lui correspond, nous lui présentons au téléphone le profil de façon anonyme. Si les personnes acceptent de discuter, une rencontre est organisée avec le mahram ou le tuteur de la sœur, sauf si ce dernier nous délègue pour que nous nous occupions des premières présentations.
Si les deux intéressés semblent se correspondre, l’homme contacte la famille de la sœur et les deux familles prennent le relais et organisent la suite.
Al-Kanz : On imagine que, comme partout en France, il y a du monde à marier. Cependant, recourir à la mosquée pour trouver l’âme sœur n’est pas très courant. Qu’en est-il réellement ? Les célibataires sont-ils au rendez-vous ?
ACCIF : La mosquée est comme une famille élargie pour les personnes qui sollicitent notre contribution dans cet aspect de leur vie. Elle est juste un moyen supplémentaire parmi d’autres. Nous conseillons aux personnes qui cherchent à se marier de faire confiance en Allah subhanahou wa ta’la Qui sait mieux que quiconque leur état, leur situation, ce qu’ils recherchent ainsi que ce qui leur convient, avant de les avoir créés… Aussi, nous ne saurions trop leur conseiller que d’utiliser des moyens licites dans toutes leurs entreprises, quelles qu’elles puissent être.
En trois ans, le service matrimonial a enregistré 600 demandes à travers toute la France.
Quand nous avons commencé ce travail, c’était plutôt timide. Les personnes ne voyaient pas trop comment ça marchait. Après les premières rencontrent organisées, le bouche à oreille a fait son effet et on s’est vite retrouvé à s’occuper de plus de personnes qu’on ne s’y attendait. Aujourd’hui, après trois années de fonctionnement, plus de six cents personnes se sont inscrites, à travers toute la France. Elles habitent pour l’essentiel dans la région Toulousaine. Bien que nous ne fassions aucune distinction sur ce critère, le vécu montre qu’il est plus simple de présenter le profil d’une personne de la région qu’une autre. Mais après tout, la seule obligation qu’on s’est fixée est de rechercher – et pas forcément de trouver –, car pour cela il doit y avoir consentement des deux intéressés et leur famille… La Volonté d’Allah étant antérieure à toutes choses.
Al-Kanz : Quel est le profil des célibataires, le profil des hommes et celui des femmes ?
ACCIF : En matière de disparité de profils, il serait difficile de faire mieux (rire). Chaque personne inscrite est pour nous un cas à part entière et une recherche qui l’est autant. On a des profils, hommes et femmes confondus, très diversifiés : de 17 à 64 ans, personnes jamais mariées ou divorcées, avec ou sans enfants, avec ou sans hijab, étudiants, travailleurs ou retraités, français ou étranger de presque tous les continents, etc.
Cependant, la moitié des personnes inscrites n’ont jamais été mariées. Les deux tiers sont des hommes, ce qui leur offre moins d’opportunités de trouver leur moitié. Mais, d’un autre coté, cela double la probabilité pour une sœur de trouver le profil qui peut lui correspondre.
Ce qui complique davantage nos recherches, ce sont les critères autres que religieux comme les origines, l’âge, la situation administrative ou maritale. Certaines personnes restent focalisées sur un idéal, dur à trouver. D’autres fois, elles sont plus exigeantes en passant par notre intermédiaire qu’elles ne le sont par ailleurs. Il est arrivé que deux personnes qui s’étaient inscrites chez nous et qui avaient des profils incompatibles se sont finalement mariées par le biais de proches ou amis.
Al-Kanz : Comment faites-vous pour éviter les ratés, qui peuvent avoir des conséquences dramatiques sur la vie des prétendants ?
ACCIF : Alhamdulillah, il n’y a pas mort d’homme (rire). Allah soubhanahou wa ta’la Qui ne fait que le meilleur nous a jusqu’à présent éloigné des faits divers notoires. Il faut remettre chaque chose à sa place et rappeler que nous ne nous substituons aucunement à la famille des personnes inscrites, qui devra faire ses investigations et remplir pleinement sa responsabilité en recherchant ce qui pourrait être le mieux pour leur protégé(e). Lorsque nous effectuons les entretiens pour valider une inscription, c’est d’abord dans l’objectif de trouver les meilleurs profils compatibles afin d’éviter des rencontres dont on craint le non aboutissement à cause de critères spécifiques comme l’âge, l’origine, les papiers, la hijra (installation à l’étranger), etc. Ces entretiens restent confidentiels et ne sauraient suffire pour se prononcer sur les candidatures que nous recevons. Mais, je reste convaincu que ce ne sont pas « les pires » qui chercheraient leur moitié par l’intermédiaire d’une mosquée…
Au début de ce genre d’organisation, les gens ont beaucoup d’idées préconçues à cause principalement du phénomène des sites Internet de rencontre. Notre service est aux antipodes de ce type de sites.
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Chez nous par exemple, les fiches sont confidentielles et non consultables, les présentations de profils sont anonymes jusqu’à ce que les personnes se présentent mutuellement. Aucune rencontre ne se passe sans le tuteur de la femme ou son autorisation, ou au moins la présence d’une tierce personne, il n’y a pas d’échange de numéro de téléphone ou mail ou un autre moyen qui permettrait de se revoir en dehors du cadre défini.
Maintenant, les personnes qui cherchent à se marier par notre intermédiaire sont les mêmes que celles qu’on rencontre ailleurs. Ce sont certes des musulmans, mais avec leur vécu, leur tempérament, leurs qualités et défauts. Nous avons vu des couples se former, certains divorcer, mais alhamdulillah, la majeure partie continuent à écrire de belles pages de leur vie de couple, avec même des naissances. Toutes les louanges reviennent à Allah.
Al-Kanz : Pensez-vous que l’on puisse généraliser à l’ensemble des mosquées votre service ? Si oui, comment ?
ACCIF : Notre service comme vous l’appelez est du pur bénévolat et 100 % gratuit. Les personnes s’inscrivent volontairement sans aucune forme de démarchage ni d’incitation. N’importe quelle association, mosquée ou organisation consciente de certaines difficultés de la vie moderne, motivée par le mieux-être de la communauté et qui se donne les moyens techniques et humains, peut faire pareil, voire mieux. Cependant, cela nécessite beaucoup d’heures de travail, une grande disponibilité, beaucoup de sérieux, de la discrétion et surtout de la pédagogie et de la patience. Il reste évident qu’il faut connaître les règles du mariage et les étapes qui le précédent et savoir que certaines personnes peuvent avoir besoin d’une oreille attentive, sans se sentir juger. Il nous arrive aussi de suivre l’évolution de certains couples et de rester disponibles pour des conseils après le mariage.
Il est important de préciser qu’il est nécessaire qu’au moins un couple se charge de tout cela, ne serait-ce que pour que les entretiens se fassent avec une personne du même sexe, les sœurs avec la femme et les hommes avec le mari, et pour que les rencontres s’organisent dans les meilleures conditions.
Al-Kanz : Terminons avec un premier bilan chiffré.
ACCIF : Après trois années de fonctionnement, il serait difficile de donner des chiffres précis, car il y a beaucoup de rencontres programmées. Nous en organisons en moyenne deux à trois par semaine, quelques discussions en cours, qui avancent au rythme des familles. On peut dire qu’il y a eu un certain nombre de mariages, un peu moins d’une vingtaine, à ce jour.
Le plus important est de donner aux inscrits l’opportunité de trouver leur moitié, sans passer par des voies illicites. Après tout, nous ne sommes qu’un moyen dans ce qu’Allah a décrété. Nous Lui demandons d’agréer ces modestes efforts et qu’Il facilite à la communauté les voies du bien et de la réussite d’ici-bas et dans l’Au-delà.
Toutes les louanges reviennent à Allah, le Seigneur des mondes. Et Il est le plus Savant en toute chose.
Pour tous renseignements, contactez l’ACCIF : http://www.mosquee-mirail-toulouse.fr