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Oum Youssouf rayonne. Atteinte de sclérose en plaques, cette maman de quatre enfants, une fille de six ans, des jumeaux de trois ans et la petite dernière de tout juste six mois, ne se plaint jamais, mais puise sa force là où d’autres vivraient cette épreuve comme un fardeau.
C’est lors de sa dernière grossesse qu’Oum Youssouf a compris que sa vie allait fondamentalement changer. Voici son témoignage. Poignant, il nous permet de prendre conscience que tout peut basculer du jour au lendemain.
Marie pour Al-Kanz : Peux-tu nous dire comment as-tu appris que tu étais malade ?
Oum Youssouf : Avant d’être enceinte de ma dernière, j’avais une vie bien remplie. Je pratiquais la toilette de nos sœurs défuntes. Je n’hésitais pas à rendre visite aux personnes malades. J’avais énormément d’activités extérieures avec mes enfants. On sortait beaucoup en famille. J’ai voyagé avec mon mari, puis avec mes enfants, effectué mon pèlerinage quand j’étais encore jeune et en pleine santé. Je faisais même mon sport à la maison, avec un minimum de deux séances de sport intensif par semaine en regardant les vidéos sur ma tablette. Je conduis, je suis très indépendante et j’aime beaucoup sortir mes enfants.
« Je ne pouvais pas prononcer un mot, ni bouger mon bras droit, cela n’a duré que quelques secondes. »
L’année dernière, j’apprends que je suis enceinte de ma poupée. Vers le cinquième mois de grossesse, j’ai connu ma première paralysie. Assise, je ne pouvais pas prononcer un mot, ni bouger mon bras droit, cela n’a duré que quelques secondes (les plus longues que je n’ai jamais vécues), mais c’était la première grande frayeur de ma vie. Je l’ai caché à tout le monde. Après l’accouchement, j’ai eu des paralysies sur toute la partie droite de mon corps, qui duraient seulement quelques secondes, mais qui étaient nombreuses dans la journée, avec d’autres symptômes… Dès lors, du Samu aux services des urgences, en passant par divers examens (ponction, bilans et j’en passe) le verdict est très vite tombé, al-HamduliLlah (louanges à Dieu).
Marie : Une sclérose en plaques donc. Qu’est-ce qu’est au juste cette maladie ?
Oum Youssouf : La sclérose en plaques, communément appelée SEP, est une maladie auto-immune neurodégénérative du système nerveux central qui est dite « incurable » — mais je sais que moi in cha’a-Llah je vais guérir. Elle se manifeste de différentes manières selon les malades. Elle est parfois appelée la « maladie mystérieuse », tant elle est compliquée et parce que les médecins ne réussissent pas à en cerner l’origine. Chez moi, elle se manifeste comme chez beaucoup par une perte de force aux jambes et aux bras. J’ai des tremblements, l’œil gauche avec lequel je vois flou à divers moments de la journée, pas forcément tous les jours, des troubles de l’équilibre, des vertiges avec cette sensation, même assise, d’être sur un bateau. Ma neurologue parle plutôt de « sensation d’ébriété ».
C’est simple, avant je pouvais faire tout ce que je voulais, aujourd’hui je suis freinée. C’est exactement le terme : freinée physiquement. Car en plus de tout cela, je traîne une chose que je n’ai jamais connue de ma vie, et ceux qui me côtoient me connaissent pour cela, la fatigue. Jamais je me suis souvenue avoir dit un jour « je suis fatiguée ». Je ne savais pas ce que c’était. J’étais tellement dynamique. Hormis pendant ma grossesse, je ne savais pas ce qu’était une sieste, se reposer. Aujourd’hui le terme « fatigue » fait partie de mon vocabulaire, de mon quotidien. Même si parfois j’ai honte de le dire, aujourd’hui je le dis quand je suis à bout et que je ne peux clairement pas me lever.
Marie : De quoi souffres-tu le plus ?
Oum Youssouf : Clairement, je ne sais pas si j’ai vraiment accepté ma nouvelle vie. Je dois m’adapter à mon nouveau corps, à ces changements, à ces états que je ne connaissais pas, pour une durée encore indéterminée. Ce qui me fait souffrir, c’est parfois l’impuissance que je ressens, mais je n’en parle pas. Je fais comme si de rien n’était. J’accepte le décret d’Allah, al-HamduliLlah, toujours en toutes circonstances. Comment pourrais-je être heureuse des bienfaits qu’Il m’a accordée et fâchée par les épreuves ? Allah dit bien dans le Coran, sourate 29, verset 2 (sens du verset) : « Est-ce que les gens pensent qu’on les laissera dire ‘nous croyons !’ sans les éprouver ? »
J’ai encore un peu de mal avec le regard des autres. Certains le savent, car je vis dans une petite ville. Quand ils me croisent, c’est un regard qui me gêne que je perçois en eux. Comme de la pitié ? Je passe de « elle » à « ah, elle ? Celle qui est malade ? ». Je supporte ce que je dois supporter et je sais que la récompense est auprès de Mon Créateur. Je dois endurer et réussir cet examen, et in cha’a-Llah je le réussirai. Al-HamduliLlah, j’ai toujours réussi ce que j’ai entrepris. Mais je sens le cœur de ma mère souffrir, tout comme le mien souffre quand un de mes enfants à un simple « bobo ». Il lui faut du temps à elle aussi. Qu’Allah lui facilite cette épreuve.
Marie : Pourquoi as-tu choisi d’en parler aujourd’hui ?
Oum Youssouf : Quand j’ai ressenti clairement le besoin d’en parler, c’est simplement parce que j’étais tourmentée, perdue, dans la quantité d’informations, que je recevais de toutes parts, la spécialiste, celle de l’hôpital, mon généraliste. J’ai aussi eu ma période « je vais demander l’avis à tous les neurologues que je croise », les sites Internet conseillés lors des visites de ma neurologue, ceux que je découvrais seule, ceux conseillés par les groupes de malades sur Facebook. J’avalais trop d’informations, clairement, mon esprit était embrouillé. Tout cela était trop virtuel, sans âme, j’avais besoin de contacts humains. J’avais besoin de voir quelqu’un comme moi. Quelqu’un avec qui je bois un thé, avec qui je parle, pas de mails, pas de téléphone, de l’humain.
« Je ressentais le besoin d’être à côté d’une personne comme moi et de lui parler dans les yeux, pas un professionnel, pas un écran. »
C’est bête, je ressentais le besoin d’être à côté d’une personne comme moi et de lui parler dans les yeux, pas un professionnel, pas un écran. Quelqu’un que je peux toucher, quelqu’un que je peux voir, avec qui je peux partager, échanger. Puis, doucement, ce besoin s’est transformé en désir de m’aider moi-même pour aider l’autre. Si je souffrais de cela, alors d’autres aussi devaient ressentir la même chose, non ? Ce besoin de soutien, ce besoin d’être compris entre malades. Faire connaître cette maladie au nom un peu barbare. Pour en parler avec ma famille aussi, je ne sais pas parler autrement que par écrit… Ainsi ma mère lira et me posera des questions si elle ne comprend pas certains de mes états, mon père s’inquiètera moins, mes sœurs seront moins perdues face à mon mutisme parfois. Je souhaite aussi faire connaître la maladie, pour diverses raisons.
Marie : Des soeurs, des personnes malades et d’autres encore, en bonne santé, voudront certainement te contacter ? Que leur dire ?
Oum Youssouf : Je suis joignable à l’adresse suivante : oum.youssouf.sl@gmail.com. Cette adresse mail est disponible pour toutes les personnes qui veulent avoir des informations sur la maladie, qui en sont atteintes et se sentent seules, pour partager expériences, pistes et traitements. Entre « sepiens » (malade de la sclérose en plaques, SEP) ou non, on pourra discuter. Voici aussi une page Facebook que j’ai lancée : Un jour après l’autre, InchaAllah )
Marie : Aimerais-tu ajouter autre chose ?
Oum Youssouf : Oui, la maladie m’a fait prendre conscience de beaucoup de choses, aussi, j’ai changé et continue de changer des aspects de ma personnalité, dans ma vie, autour de moi, dans mes habitudes alimentaires, mon hygiène de vie. Je souhaite partager tout cela, m’ouvrir aux autres, avoir leurs avis, et leur donner le mien.
Je veux aussi aider celui ou celle qui me lira, qui vient d’apprendre sa maladie et qui se sent détruit par cette nouvelle. Je m’adresse à lui, à elle, tout comme j’ai aimé trouver une écoute via SMS de la part d’un membre de ma famille, qu’Allah le récompense, et de la part d’une sœur atteinte aussi. Cette maladie est dite « incurable », mais nous musulmans nous avons la foi et nous savons que la guérison vient d’Allah. Il faut continuer d’avancer et de se battre. Il ne faut surtout pas se sentir vaincu. Il y aura des moments difficiles, mais on y arrive. Vraiment, chaque jour n’est pas forcément un combat. Croyez-moi, il y a des jours où je sens qu’Allah m’entoure de Toute Sa Miséricorde et qu’IL est là pour moi, qu’IL me surveille et me guide. Gloire à Lui. Je m’adresse à mes frères et sœurs atteints de cette maladie ou une autre dite « chronique », dure ou incurable, et qui vont mal à l’intérieur d’eux-mêmes : accrochez-vous presque littéralement au souvenir d’Allah et quand vous vous sentez seuls et incompris parlez-Lui, IL vous comprendra. Posez votre tapis, et foncez, faites des invocations, pleurez si vous en avez besoin, n’ayez pas honte de Celui Qui sait déjà ce que contient nos cœurs, Seul Lui vous comprendra réellement.